Haro sur les « îlots d’avenir » en forêt publique !
Planter en forêt !?
En 2020, dans le cadre de son plan économique France Relance, et sous couvert d’adaptation des forêts aux effets des changements climatiques, l’État français a décidé d’une dotation financière de 200 millions d’euros pour la filière sylvicole française, dont pas moins de 150 millions d’euros dédiés au renouvellement forestier en forêt publique comme privée. [1]
En grande partie, ces fonds généreux serviront donc à planter des arbres.
Oui oui, PLANTER des arbres. En forêt. On va donc consciencieusement raser, puis gentiment replanter 45 000 ha de forêt, sous prétexte de la « sauver » du changement climatique [1].
Une opération quasiment nulle à plusieurs « milliers d’milliers d’dollars » tout de même… Un comble donc. A moins que cette histoire d’adaptation climatique des forêts ne soit surtout un moyen de continuer leur exploitation à tous crins, selon le principe bien éprouvé du « business as usual… »
Visiblement, malgré l’extrême ancienneté et complexité des milieux forestiers européens* (près de 15 000 ans d’évolution pour le cortège européen contemporain, et plus encore pour les différentes espèces d’arbres qui les composent – au moins 5 millions d’années d’existence rien que pour le Hêtre commun Fagus sylvatica !), l’État français semble considérer que la forêt n’est pas assez « costaude », pas assez résiliente pour se débrouiller toute seule… Et ce malgré les études montrant que la biodiversité naturelle des forêts est une piste fondamentale pour leur permettre de mieux résister à l’évolution à venir du climat. [2][3][4]
*Tout de même près de 15 000 ans d’évolution pour le cortège européen contemporain, et plus encore pour les différentes espèces d’arbres qui les composent (au moins 5 millions d’années d’existence rien que pour le Hêtre commun Fagus sylvatica)…
Alors, doit-on vraiment « aider » la forêt à s’adapter, en la plantant et en la ratiboisant davantage, ou ne devrait-on pas plutôt la laisser un peu se débrouiller, quitte à perte en productivité ?
Expérimentation douteuse à l’ONF…
C’est donc dans ce contexte que l’Office National des Forêts (ONF) a eu la brillante idée suivante : puisque le climat est amené à changer radicalement dans les décennies à venir et que les forêts françaises tendent parfois à montrer quelques signes de faiblesse face aux sécheresses à répétition de ces vingt dernières années (entraînant des dépérissements massifs de certaines espèces, notamment l’Epicéa commun Picea abies en plaine ou localement aussi le Hêtre), et bien, pourquoi ne pas adapter artificiellement les peuplements forestiers actuels en testant l’implantation de nouvelles espèces en provenance de régions supposées représentatives des climats à venir (Méditerranée, Caucase, Californie ou Australie) – alors même que le climat du futur est par définition impossible à définir précisément à l’avance et que les modèles climatiques ne s’accordent pas toujours entre eux sur les conditions climatiques de demain ? [5][6][7]
C’est alors que l’ONF a imaginé ses fameux Îlots d’avenir : des enclos de 0,5 à 5 hectares implantés en forêts domaniales (0,5% de leur surface totale, avec un programme de plantation échelonné sur une durée de 20 ans), qui reçoivent désormais un petit coup de pouce financier du plan de relance post-covid… Ces parcelles sont donc plantées d’espèces exogènes comme le Sapin de Turquie Abies bornmuelleriana, le Calocèdre Calocedrus decurrens ou le Liquidambar Liquidambar [sp.].
En 2024, on évoque déjà l’implantation de 525 « îlots » de ce type en France, pour un total d’un peu plus de 900 hectares surtout implantés en Grand-Est et en Bourgogne-Franche-Comté, régions particulièrement forestières. La Forêt Domaniale de Haye (54) semble d’ailleurs l’une des premières à en avoir bénéficié, dès 2017. Toujours en Grand-Est, les campagnes de plantation, à priori terminées depuis 2022, totaliseraient aujourd’hui 75 îlots de ce type disséminés dans toute la région. [8][9]
Cependant, ces îlots semblent surtout véhiculer l’idée selon laquelle ce n’est pas aux humains de moduler leurs activités afin de tenir compte du vivant, mais plutôt l’inverse, en faisant ni plus ni moins qu’un « forçage » écosystémique (comme on parle de « forçage génétique », avec les OGM ou la technologie CRISPR CAS-9) dans l’optique d’introduire coûte que coûte les vieux modèles productivistes habituels, ici sous couvert d’adaptation au changement climatique et même sous prétexte de sauvetage des forêts…
D’ailleurs, il est assez ironique de noter que l’ONF, qui intervient par ailleurs activement pour l’élimination des espèces exotiques envahissantes (EEE) lorsqu’elles sont repérées au sein des Réserves Biologiques Intégrales (RBI) (cf. article RBI/RBD de Libre Forêt du 14 Mai 2024), ne semble ici pas beaucoup s’inquiéter des conséquences possibles de ses propres introductions d’espèces allochtones au cœur même des écosystèmes forestiers. Notamment leur impact potentiel sur la biodiversité locale, qui est loin d’être négligeable : dissémination de semis issus d’espèces allochtones, transmission éventuelle de pathogènes, modification locale du cortège floristique et faunistique, voire pourquoi-pas disparition de certaines espèces.
Vers les crises forestières de demain ?
Certes, les faibles superficies concernées ici ne devraient pas pour l’instant trop menacer la biodiversité ni les paysages forestiers métropolitains, mais qu’en sera-t-il à l’avenir ?
D’autant plus que l’on ne peut s’empêcher de garder à l’esprit le souvenir d’autres introductions (parfois malheureuses), en métropole ou ailleurs en Europe de l’Ouest… Notamment lorsque le déplacement d’espèces forestières hors de leur aire de répartition habituelle a provoqué des conséquences en cascade sur les écosystèmes et/ou sur l’économie sylvicole. En témoigne la récente crise des scolytes*, ravageant les plantations d’épicéas introduites à basse altitude, après avoir été affaiblies par les sécheresses récurrentes ; la vulnérabilité face aux ouragans et aux incendies des monocultures de Pins maritimes (Pinus pinaster) dans le Sud-Ouest, des pinèdes d’Alep (P. halepensis) en Méditerranée, des Eucalyptus [sp.] sur la péninsule ibérique, ou encore la dissémination effrénée de l’Epicéa de Sitka (Picea sitchensis) dans les îles britanniques, ou du Cèdre de l’Atlas dans le Sud de la France, démontrant dans ces deux cas un caractère clairement envahissant…
*Famille de coléoptères généralement xylophages (autochtones ou introduits, selon les espèces). [10]
Autant d’exemples qui suscitent légitimement la méfiance et l’inquiétude, d’autant que d’autres solutions d’adaptation ne semblent pas suffisamment prises en compte pour favoriser la souhaitable résilience des forêts face aux effets de la crise climatique : des forêts exploitées moins intensivement (couvert continu ou futaie jardinée, cycles d’exploitation plus longs et sans coupes rases, préservant les sols forestiers en utilisant moins de machines lourdes) ; favoriser l’expression spontanée de la diversité sylvicole locale (via la régénération naturelle, la diversité génétique des individus et des peuplements) ; accompagner le développement de davantage de réserves forestières intégrales conduites en libre évolution (RBI et îlots de sénescence), gage de diversité biologique, de biomasse abondante et d’expression naturelle des potentialités et ressources locales (génétiques, écosystémiques, microclimatiques, hydrologiques) des peuplements ; en un mot, un gage de résilience.
Joris DUVAL-DE COSTER pour LIBRE FORÊT
Photos Jean-François Petit – Forêt de Haye (Meurthe et Moselle)
Sources :
[1] https://www.onf.fr/onf/+/94e::plan-france-relance-lancement-du-volet-forestier.html
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/For%C3%AAt_en_France
[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/H%C3%AAtre_commun
[5]https://meteofrance.com/changement-climatique/quel-climat-futur/le-climat-futur-en-france
[6] https://www.inrae.fr/actualites/secheresses-recurrentes-fragilisent-forets