L’inquiétante régression des forêts anciennes

Par Jean-Marc Colin

par Joris DUVAL-DE-COSTER

Dans un contexte actuel de grave crise climatique, conjuguée une crise de la biodiversité majeure, le rôle des forêts apparaît crucial, et notamment celui des forêts anciennes.

Des forêts en très forte régression

Photo Bernard BISCHOFF

Selon la FAO, la planète comptait environ 4 milliards d’hectares de forêts en 2020, recouvrant près de 30% des surfaces émergées, dont 1,11 milliard d’hectares deforêts primaires(soit 28% du total des forêts). En Europe (hors-Russie), la même source estime que la superficie forestière atteignait 196 millions d’hectares en 2010 (soit près de 40% de sa surface), dont seulement 1,4 millions d’hectares de forêts primaires (soit 0,7% du total des forêts européennes, répartis sur 34 pays). Malheureusement, les forêts connaissent une importante régression au niveau global, essentiellement du fait de la déforestation, qui selon la FAO aurait provoqué la disparition de 420 millions d’hectares de forêts dans le monde depuis 1990 (soit entre 13 et 15 millions d’hectares par an de 1990 à 2005, avec même une perte de 18 millions d’hectares en 2015 et jusqu’à 29,4 millions d’hectares en 2017). Dans le même laps de temps, la superficie des forêts primaires y aurait diminué de 81 millions d’hectares à cause du déboisement. Les forêts anciennes ne sont pas les seules à subir les assauts du développement anthropique : entre 2000 et 2013, la surface globale de forêts considérées comme relativement peu perturbées a diminué de 93 millions d’hectares dans le monde.

Forêts VS plantations

Photo JM Colin

Aussi, on pourrait considérer que la reforestation active et artificielle (par plantation) de vastes zones déboisées au profit de la conservation ou de la sylviculture limiterait les effets négatifs cumulés de la déforestation et de la consommation d’énergie carbonée, tant sur le plan climatique (captage et stockage naturels du carbone ; rôle majeur le cycle de l’eau et du carbone), que sur le plan écologique (maintient et renforcement de la biodiversité, ainsi que des services écosystémiques des forêts).

Or, plusieurs constats s’imposent, issus des données scientifiques disponibles. Tout d’abord, les forêts plantées ne représentaient en 2020 qu’une fraction de la superficie forestière mondiale (soit 3%), et dont 44% étaient essentiellement composées d’espèces introduites (ce qui constitue un facteur de risque important pour la biodiversité). Ensuite, les surfaces bénéficiant des programmes de reboisement dans le monde restent largement inférieures aux zones déforestées (3 à 5 millions d’hectares par an entre 1990 et 2005, soit seulement 20% à 38% du total des superficies déboisées dans le même pas de temps) et rien ne permet d’imaginer de manière réaliste une reforestation massive des zones agricoles et urbaines gagnées par le passé sur la forêt. Enfin, la nature-même de ces forêts (issues de repeuplements artificiels, souvent en monocultures d’espèces allochtones introduites) n’est en rien équivalente – en terme de richesse spécifique (=biodiversité)*, ni en termes de captage et de stockage naturels de carbone** – aux forêts spontanées ou anciennes. La perte de forêts primaires ou anciennes ne peut être compensée, en terme de biodiversité, de diversité culturelle ou de puits de carbone, par des forêts plantées et – bien souvent – exploitées intensivement (pour la construction ou l’énergie). Dans les forêts plantées, si certains processus écologiques sont réels, ils ne sont en aucun cas aussi riches, diversifiés et durables que ceux ayant cours dans les forêts anciennes.

Importance écologique des forêts anciennes

Photo Bernard BISCHOFF

En effet, les forêts anciennes bénéficient du temps (à partir d’un à deux siècles au moins), pour mettre en place des équilibres et des dynamiques en termes de structure(diversité des âges, des mensurations et des profils des arbres ; mosaïque d’habitats), de capacité à héberger une importante diversité spécifique (notamment végétales, animales, champignons, bactéries et virus), une diversité génétique(variabilité génétique naturelle au sein de chaque individu et de chaque espèce) et une diversité écosystémique (peuplements différents ; présence d’éboulis, de tourbières, clairières, marais, cours d’eau, etc.), sans parler de leur rôle majeur dans les cycles du carbone, des nutriments et de l’eau, à l’échelle de la biosphère.

Joris DUVAL-DE-COSTER

*La forêt hébergerait 75 à 80% de la biodiversité terrestre (dont les 2/3 dans les forêts tropicales). On estime aussi que les forêts primaires et anciennes abritent 25% de biodiversité en plus par rapport aux forêts exploitées.

**Les forêts constituent le second plus grand puits de carbone de la planète (captage d’environ 1/4 des émissions), après les océans. Entre 2001 et 2019, elles ont ainsi absorbé deux fois plus de CO2 qu’elles n’en ont émis (soit 16 milliards de tonnes de C02 piégées par an, contre 8,1 milliards de tonnes libérées annuellement par la déforestation et d’autres perturbations)                                                                                                                                                                                

Sources :

« Répartition globale de la biomasse au sein de la biosphère », Fondation pour la Recherche sur la Biodiversité (FRB), 2018 : https://www.fondationbiodiversite.fr/repartition-globale-de-la-biomasse-au-sein-de-la-biosphere/

– « La déforestation s’est accélérée depuis l’an 2000 », 20Minutes, 2014 : https://www.20minutes.fr/planete/833624-20111130-deforestation-acceleree-depuis-an-2000

« Évaluation des ressources forestières mondiales 2020  », Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO, en anglais), 2020 : https://www.fao.org/forest-resources-assessment/2020/fr

 – Déforestation et plantations dans le monde (Planétoscope, 2012) : https://www.planetoscope.com/forets/274-.html

– La déforestation dans le monde (consoGlobe, 2018) : https://www.consoglobe.com/deforestation-dans-le-monde-cg

– Cartographie des forêts anciennes en Europe (Sciences et Avenir) : https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/plantes-et-vegetaux/la-premiere-cartographie-des-forets-primaires-europeennes-vient-d-etre-publiee_124674

– Déforestation et reboisements (Les Echos, 2018) : https://www.lesechos.fr/monde/enjeux-internationaux/reboiser-pour-lutter-contre-le-rechauffement-climatique-141763

– Captage, stockage et émission de carbone par les forêts (GEO, 2022) : https://www.geo.fr/environnement/les-forets-mondiales-absorbent-elles-ou-emettent-elles-du-co2-une-etude-fait-le-point-203680

– Forêts et bilan carbone de la planète (ENS, 2021) : https://planet-vie.ens.fr/thematiques/ecologie/cycles-biogeochimiques/role-des-forets-dans-le-bilan-de-carbone-de-la-planete

– Forêts tropicales, climat et biodiversité (MNHN, 2022) : https://www.mnhn.fr/fr/les-forets-tropicales-leur-role-pour-le-climat-et-la-biodiversite

– Note d’une chercheuse écologue sur l’état des forêts anciennes en France (2019) : http://www.vieillesforets.com/wp-content/uploads/2019/06/LA-RECHERCHE-ANNICK-SCHNITZER-LENOBLE.pdf

– Les forêts « primaires » : https://fr.wikipedia.org/wiki/For%C3%AAt_primaire

– Les forêts « anciennes » : https://fr.wikipedia.org/wiki/For%C3%AAt_ancienne

– Groupe International sur l’Évolution du Climat (GIEC en français, IPCC en anglais) : https://www.ipcc.ch/languages-2/francais/

20 000 ans, Ou la grande histoire de la nature, S. DURAND, Actes Sud, Coll. « Mondes Sauvages », Arles, 2018.

La vie secrète des arbres, P. WOHLLEBEN, Les Arènes, Paris, 2017.

On veut des forêts sauvages !, in Goupil (revue d’abonnés), ASPAS, 2020